Choisir le pouvoir érosif de l’amour
Aimer sans conditions est ce que l’humain peut accomplir de plus grand.
Hélas, cette source de tous les dépassements de soi ne s’atteint que par un chemin escarpé longeant les abîmes de nos distorsions mentales, parfois à contre courant de flots émotionnels trépidants, ce qui décourage beaucoup d’entre nous.
Pratiquer l’amour inconditionnel est une menace pour l’ego, d’où ses résistances.
Régnant en despote sur notre quotidien, il est comme ces fanatiques qui finissent par usurper la place du Dieu qu’ils prétendent adorer : ne pouvant se contenter de prôner de grandes et nobles valeurs, il leur faut convertir le monde entier pour se prouver la pertinence de leurs choix identitaires. Or cette sécurité est illusoire, qu’il s’agisse de tendances intrapsychiques ou d’individus. Tôt ou tard, le simulacre de soutien communautaire se fendille sous la pression du rapport de force instauré : plus l’oppresseur veut s’imposer, plus il génère un appel à la rébellion chez l’opprimé, laquelle déclenchera une intensification de la sanction ou de la répression…etc. A ce stade, le petit moi – ou celui qui s’y identifie – ne peut renoncer car cela impliquerait une remise en question potentiellement « mortelle ». Quel que soit notre argumentaire pour justifier nos actes, l’orgueil n’est jamais que le gardien du seuil de notre persona (1), et s’il en défend si ardemment les portes c’est uniquement par peur d’exposer sa vulnérabilité si le masque tombe ! Les bonnes intentions pavent ainsi de grandes artères infernales qui, suivant les logiques de la physique, nous conduisent au chaos à trop vouloir ordonner nos sentiments pour nous sentir forts.
Or la véritable puissance est ailleurs.
Lorsque l’ego, usé par les vagues de l’adversité qui le poussent au changement, accepte sa difficulté à accepter l’altérité ou sa cécité face à sa beauté, il se donne paradoxalement les meilleures chances de réduire les distances qui le rapprochent d’une communion d’âmes sincère. Contemplant ses propres failles, doutes ou égarements, il peut accueillir l’imperfection du monde et opter pour un partage fraternel bienveillant. C’est ce choix qui lui permet de contacter sa véritable force ontologique. Alors il n’a plus besoin de convaincre ou de dominer puisqu’il a trouvé l’essentiel : le dévoilement de son unité avec l’ensemble du vivant.
Loin de l’affirmation décidée d’inébranlables certitudes ou de la ténacité de nos attachements, la puissance irradie subtilement à travers la nature érosive de l’amour. Vivons-nous comme un océan et dissolvons ensemble les falaises mentales qui s’érigent entre la terre et le ciel.
(1) en grec : masque ; chez Jung une personnalité sociale, souvent idéale, qui cache d’autres aspects plus profonds et-ou authentiques de notre personnalité