Vivre ensemble
Depuis que la France a été secouée par des attaques terroristes, un voile d’illusion semble s’être déchiré: nous, les héritiers de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen ne sommes plus si assurés de pouvoir (ou vouloir?) vivre « ensemble ».
Je ne crois pas à l’éternel bras de fer entre le « bien » et le « mal », en revanche je suis convaincue que nos tensions sociales extériorisent l’opposition intra-psychique qui oppose depuis l’aube de l’humanité l’ego totalitaire aux forces guerilleras de l’inconscient. Plus le premier cherche à imposer SA vérité, plus des groupuscules rebelles prolifèrent pour lui imposer une forme de biodiversité. Par analogie, plus un système social cherche à formater les éléments qui le composent, plus il génère un appel à la contestation ou une compensation via une force de puissance analogue. Ainsi naissent les névroses et les guerres civiles, impasses idéologiques du corps-esprit.
L’issue à ce conflit, nous la trouvons par exemple en linguistique : au fil du temps, le parler du peuple s’émancipe toujours des règles orthodoxes pour mieux les régénérer, démontrant que le mouvement naturel de la vie est l’assimilation de corps « étrangers ». Des rencontres parfois improbables de registres ou de sonorités jaillit la poésie, et il ne faut jamais oublier que la norme d’aujourd’hui est toujours la marginalité réprouvée d’hier. Une langue qui ne s’enrichit pas au contact de l’autre, qui ne dialogue pas avec son environnement finit par mourir, car la pureté n’est pas de notre monde, ce n’est que le fantasme d’un ego terrifié à l’idée d’être anéanti par l’altérité. Ce constat s’applique également aux espèces, qu’elles soient végétales, animales…ou humaines. C’est pourquoi refuser ou revendiquer l’altérité est une absurdité (1).
Alors à ceux qui, voilés dans des étoffes sacrées (tchadors) ou profanes (drapeaux), justifient leur intolérance au nom de la « tradition » je rappellerai simplement ceci :
Tant la Chrétienté que l’Islam sont des religions récentes à l’échelle de l’humanité, et si elles se sont implantées dans certaines régions du monde jusqu’à se fondre dans l’identité locale, c’est en suivant les méthodes violentes que nous fustigeons chez certains de nos frères aujourd’hui : en colonisant et en terrorisant. Alors si vous tenez tant à la pureté ou au fondamentalisme de vos racines, que ne ravivez-vous les rites et croyances matrilinéaires ?
Il fut un temps où la terre de certains de mes ancêtres, l’Andalousie, symbolisait le vivre ensemble. Juifs, chrétiens et musulmans pouvaient alors partager les trésors de sagesse révélés à leurs prophètes respectifs, s’émerveillant peut-être déjà de la similarité de leurs valeurs sous le vernis des nuances culturelles.
Vivre ensemble n’est ni une obligation ni une fatalité. C’est le choix le plus noble et le plus courageux parce que c’est le seul capable de nous élever au-dessus de notre condition égotique.
(1) étymologiquement : une absence de sens.