Quand les colibris fendillent les miroirs déformants
Du 08 au 20 Février 2016 s’est tenue à Tours l’exposition “La maison aux miroirs déformants”. Tirant son nom d’une histoire écrite pour mes patients et mise en scène pour l’occasion, elle regroupait les témoignages de trois femmes appuyant leur (re)construction identitaire post- traumatique sur l’expression artistique en solo et/ou au sein d’un collectif. Accueilli par un quartier populaire de la ville, le Sanitas, cet évènement initialement pensé pour sensibiliser les professionnels de la thérapie à une approche plus empirique et transpersonnelle s’est mué en parenthèse enchantée grâce à la participation des petites gens.
Dès l’appel à financement, de nombreuses femmes se sont montrées solidaires. Souvent elles mêmes malmenées par la vie ou précarisées, elles nous ont donné plus que leur argent ou leur savoir-faire: elles nous ont nourries de leur amitié et de leur foi en ce projet, et ce faisant elles nous ont permis de devenir l’espace d’une quinzaine les porte-parole d’une armée d’humiliés trop souvent invisibles parce qu’ils ne rentrent pas dans l’étroitesse de nos typologies, de nos statistiques ou de nos préjugés.
Des hommes et des enfants se sont joints à elles pour découvrir les toiles et textes présentés (1). Beaucoup sont revenus une ou plusieurs fois, s’attablant autour d’un café et partageant avec pudeur leur difficulté personnelle à dire la solitude qui ronge jusqu’à pousser parfois à s’infliger l’inacceptable. Estompant les barrières culturelles et sociales, notre fraternité s’est passée de mots savants, de concepts ou de compétences pour s’exprimer.
Alors que je tourne mon regard vers le passé pour vous relater ces instants de grâce, je réalise l’impact du vernissage de cette manifestation sur son essence même. D’organisation joyeusement spontanée du cocktail en éclosion d’amitiés improbables, en passant par le coup de théâtre de la levée d’anonymat des artistes, les invités ont si bien matérialisé les valeurs guérisseuses évoquées par le conte qu’ils ont hissé ce moment au rang de la performance artistico-empirique! J’entends par là tout simplement ceci: notre nature aimante a vaincu la peur de l’autre et son cortège de stratégies dominatrices, prouvant ainsi que si nos sociétés semblent bien malades nos psychés individuelles redeviennent saines lorsqu’on respecte leur intégrité. J’avais bâti une fiction pour démontrer intellectuellement la pertinence de mes idées, la vie s’est incrustée pour imposer l’irrésistible justesse de ses actes.
Comme l’héroïne de mon histoire, je pourrais me lamenter sur l’indifférence du public que je voulais convaincre. Je préfère toutefois m’émerveiller de l’imprévu et c’est du fond du coeur que je tiens à remercier les colibris d’ici et d’ailleurs qui ont su fendiller mes propres miroirs déformants.
(1) mention spéciale aux adhérents de l’association Les Arpents d’Art, une aventure que je vous invite à découvrir ici: www.lesarpentsdart.fr