Le syndrome du jumeau perdu
Alfred et Bettina Austermann sont les auteurs de plusieurs ouvrages consacrés à ce qu’ils nomment « le syndrome du jumeau perdu » (1). Derrière cette terminologie clinique se tient une réalité émouvante encore méconnue, lorsqu’elle n’est pas tout simplement niée : un individu sur huit n’aurait pas été seul durant une partie de son développement intra-utérin et garderait la nostalgie de son jumeau. Si des fausses couches écourtent cette gémellité, il arrive que le corps du jumeau décédé soit absorbé par son survivant, quand il ne se désagrège pas à ses côtés. Dans tous les cas, il semble qu’une empreinte psychique du lien perdure, revenant hanter celui ou celle que la vie incarnée à choisi.
Comme la nature a horreur du vide, les jumeaux survivants tendront à combler de diverses manières l’absence de ce premier amour fusionnel :
– certains se surprendront à tout acheter en double, à travailler pour deux ou seront fascinés par la symétrie ; quelque chose en eux se souvient et vit comme si la séparation n’avait jamais eu lieu, peut-être dans l’espoir de la conjurer ?
– d’autres seront rongés par la culpabilité et s’épuiseront, entre performances et sabotages, à mériter leur condition de survivant. C’est comme s’ils devaient légitimer leur existence aux yeux du monde alors qu’ils sont les seuls à se juger et à penser qu’ils ont usurpé la place d’un autre.
– beaucoup connaîtront des difficultés dans leur vie amoureuse tant que leur quête gémellaire restera inconsciente ; qu’ils connaissent ou non des incertitudes quant à leur identité ou orientation sexuelle, ils chercheront toujours dans l’amoureux(se) le soutien indéfectible – mais non érotisé – qui a teinté leur entrée en conscience. L’angoisse de l’incompréhensible séparation générera fréquemment des troubles de l’attachement qui se manifesteront par des ruptures soudaines (de leur fait) ou l’investissement de partenaires inaccessibles (d’une autre orientation sexuelle, déjà investis dans une relation, trop instables pour s’engager…etc). D’intenses amitiés platoniques pourront pallier au manque jusqu’à ce que l’autre exprime le besoin d’un lien érotique ou s’engage dans un projet de couple ailleurs.
Le point commun de ces symptômes est l’absence de deuil effectif. Or ce processus est la condition sine qua non pour que le jumeau survivant puisse positivement honorer la mémoire de l’être cher en s’épanouissant dans l’incarnation ; c’est aussi, d’un point de vue spirituel, et au-delà de toute tradition spécifique, un moyen de libérer le jumeau décédé de notre attachement afin qu’il puisse poursuivre son cheminement individuel. Suivre un travail thérapeutique est particulièrement précieux, car c’est l’offrande d’ un espace sécurisé et porteur où exprimer ses émotions, trouver un sens à l’expérience, voire ritualiser l’acceptation de la séparation.
Alors il n’est plus question de survivre à un jumeau perdu mais de continuer sa route, le coeur et l’âme nourris de la promesse de retrouvailles joyeuses…le moment venu.
(1) parus en français aux éditions du Souffle d’Or