Ce fichu besoin de reconnaissance…
Que celle qui ne s’est jamais surprise à attendre un signe de reconnaissance masculine me lance le premier escarpin ou la première rangers. On a beau se croire – ou se vouloir? – affranchie de siècles de domination-conditionnement:
a) parce qu’on ne cherche plus son père ou son frère depuis belle lurette,
b) parce qu’on met un point d’honneur à changer sa roue de voiture toute seule comme une grande ,
c) parce qu’on assume les décennies sans maquillage, y compris les lendemains de fête,
la réalité finit toujours par vous rattraper douloureusement, de préférence dans des situations où vous vous y attendez le moins.
L’histoire de Ste Simone de Beauvoir est à ce titre exemplaire. Vilain petit canard dont la métamorphose s’est trouvée “boostée” par sa rencontre avec Sartre, ses amours multiples et transgressives auront-elles suffit à la libérer des tourments de l’emprise amoureuse? Par-delà le pied de nez aux convenances, rares sont les femmes ayant vraiment renoncé à l’exigence d’une exclusivité totale, c’est à dire capables de partager “les hommes de leurs vies” avec le reste du monde, y compris – voire surtout? – sur le plan affectif. Les milieux libertins en sont une illustration, où le contrat de polygamie résiste rarement à l’attachement affectueux de Monsieur pour une autre. Et que dire de ces compagnes d’artistes-chercheurs-inventeurs, dévastées par l’obsession créatrice de “leur” homme? Amies lesbiennes et/ou chiennes de garde, j’ose affirmer, pour en avoir été témoin, que vous n’échappez pas à la règle lorsqu’il s’agit de vos amis, chefs ou binômes privilégiés!
Jung, qui connaissait son sujet sous toutes les coutures, l’a malicieusement formulé: la femme veut être choisie parmi les autres, et pour cela il lui faut la preuve, sans cesse réactualisée, de son hégémonie. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle peut se dépasser, tout pardonner, tout sacrifier, jusqu’à sa subjectivité pour mieux renvoyer sa gratitude à l’adoré. Le mystère féminin réside peut-être dans cette zone d’ombre, innée ou acquise, qu’est le besoin d’être reconnue comme valeureuse, par ou pour sa différence, avant de pouvoir s’aimer sans conditions. Une médiatisation qui rappelle le stade du miroir décrit par Lacan, et semble prolonger le mythe de Pygmalion et Galathée; au fantasme du façonnage d’un objet aux contraintes de son désir de toute-puissance répond la mendicité affective par sujétion volontaire. La frontière entre mentorat et abdication-usurpation de son pouvoir personnel est d’autant plus ténue qu’elle implique toujours la question de l’équité des territoires conquis ensemble.
Au temps du patriarcat, la relation hétérosexuelle, dans ses dimensions tant érotique que sentimentale, semble s’être figée dans un modèle prostitutionnel fondé sur une possession mutuelle conditionnée. Tant qu’est dénié l’instinct psychique qui porte inéluctablement à se (re)lier à l’altérité pour construire son identité, revendiquer une sexualité polymorphe ou sublimée n’est pas plus salvateur que la soumission stratégique. L’exclusivité garante de reconnaissance n’est qu’une illusion perceptive, dont la persistance se devine jusque dans le refus de choisir.
Pour autant, rien n’est assez puissant pour asservir une femme hormis son propre psychisme. Il est temps de nous en rappeler et de le faire savoir, non par esprit de vengeance mais pour réinventer avec nos alter ego une façon plus respectueuse de grandir ensemble.