Cachons ces corps que nous ne saurions voir…
Le devant de la scène médiatique est désormais occupé par des phénomènes contestataires de l’occident, en premier lieu les actes terroristes visant des civils. L’une des nombreuses expressions qui nous pose question est la représentation de la femme véhiculée par le port du voile, intégral ou partiel. Réduire cette option à une volonté de l’homme revient paradoxalement à démettre la femme de son libre arbitre. Car aussi incroyable que cela puisse paraître à celles qui n’ent font pas le choix, il existe peut-être une raison inconsciente extra-religieuse à l’enveloppement délibéré de son corps: au-delà d’une défense, une forme de pudeur susceptible de redonner à l’érotisme la noble fonction de sublimateur libidinal.
L’influence culurelle nord-américaine dépasse largement les champs politiques et financiers, s’immiscant dans les recoins les plus intimes et obscurs de notre psyché. Au temps de la mondialisation, le pulsionnel est soumis au clivage, laissant de tristes alternatives aux humains: être “mère” ou “putain” pour les femmes, “mâle alpha ou raté” pour les hommes. De la quantité – et non la qualité – des rencontres sexuelles dépend la valeur personnelle, aboutissant à des lois dynamiques:
– inégalitaires, car l’orgie avantage la réputation du masculin tout en dépréciant celle du féminin
– frustrantes, car l’union idéalisée d’une vierge et d’un étalon toujours prêt à saillir est irréaliste
L’inconscient ne faisant aucun cas de la logique rationnelle, et les jeux de séduction n’étant pas la voie optimale pour consommer, les corps s’auto-promotionnent tandis que les échanges émotionnels s’appauvrissent. On fait de plus en plus étalage de ses atouts, on triche à coup d’additifs, on flirte avec les limites de la concurrence déloyale, toujours dans l’optique d’être sacré “meilleur coup”. Parce qu’être libre désormais, ce n’est plus tant se vendre ou se louer à qui l’on veut, mais au prix que l’on veut. Les fantasmes eux-mêmes sont devenus des produits envahissants, formatés par la loi du marché, et tout acte sexuel une forme de rituel que certains subissent comme un gavage d’oies.
Qu’ils se définissent comme asexuels (1) ou abstinents (2), ces individus trouvent peut-être dans la sobriété pulsionnelle un espace de respiration pour leur âme. Derrière le discours impersonnel et idéologisé de celles qui s’effacent pour se sentir exister, la fibre romantique pourrait résister au désenchantement du monde. L’interconnexion technologique a dévitalisé nos synapses, et nous ne savons plus nous découvrir, nous explorer, nous interprénétrer hors des identités prêtes-à-porter de la virtualité marchande. Où trouvent donc refuge ceux qui n’ont jamais goûté l’absolu chez Shakespeare, Dante ou ailleurs? Visiblement dans un discours dont la promesse d’appartenance sécurisante et l’issue tragique viennent peut-être réveiller des princesses endormies, viscéralement incapables de faire le deuil d’un lien éternel qui les révèleraient à elles-mêmes.
Qui sait les mots maladroits, rêvés ou échangés, qui les unissent à leurs chevaliers désespérés? J’aime pour ma part leur prêter ceux-ci: “cachons ces corps que nous ne saurions voir…car nous préfèrerions, et de loin, les imaginer pour exalter notre amour”.
(1) dépourvus de désir charnel envers autrui
(2) ayant renoncé temporairement ou définitivement à toute activité sexuelle