Despedias *
Emergeant d’une synchronie entre calendrier et cycle personnel, ce billet vient clore la chronique que j’ai tenue depuis deux ans, avec la constance d’un métronome. J’ai eu du mal à l’écrire, me confrontant comme rarement à la fameuse page blanche de l’écri-vain(e)…Mutique ou bavard(e) au gré des circonstances, l’humain(e) a pourtant toujours quelque chose à dire ou à taire, non? Donc les jours ont passé, les anecdotes vécues ou observées avec, jusqu’à l’évidence de cet instant T de l’écriture: le plus simple c’est encore de suivre le mouvement de la vie, laquelle me porte à voguer vers de nouvelles aventures, et d’écrire sur le sujet. Vous parler une dernière fois de ma vie pour mieux vous renvoyer à l’essentiel, sa ressemblance fondamentale avec la vôtre.
On a beau s’abreuver de philosophie et méditer au rythme des saisons, partir n’est jamais chose facile. Quitteur(se) ou quitté(e), le deuil sera incontournable et nous demandera tôt ou tard une belle dose de courage pour ne pas sombrer dans la culpabilité. A-t-on le droit d’aspirer à la nouveauté? De priver l’autre de notre présence, virtuelle ou physique, parce qu’on estime ne plus avoir de choses intéressantes à lui partager, à lui donner? Est-ce l’abandonner lâchement que de céder au besoin lancinant de se (re)tourner vers soi-même? Sous quelque angle que ce soit – mais avec d’autant plus de force à l’heure des grands choix ou des crises existentielles – la juste distance entre le monde et soi n’en finit jamais de se poser à nous. Dans toutes nos mues relationnelles, c’est la position de l’altrégoïste** que le curseur traque inlassablement.
Si l’on prête au français la vertu de sublimer le sentiment amoureux, son répertoire m’apparaît lapidaire à l’heure des départs. Je lui préfère la “despedida” espagnole, moins définitive puisqu’elle invite à prendre congé, induisant en filigrane un espoir de retrouvailles, un jour, ailleurs. L’avenir reste alors formidablement ouvert à l’infini des possibles et puis, surtout, il devient le témoin potentiel d’une vérité sublime: l’amour est un mutant qui ne meurt jamais, il se transforme à chaque instant. La psychanalyse postule que le désir anime, moi j’aime à croire que son repli plonge dans le temps du rêve plutôt que de l’oubli. Le fantasme ou l’idéal s’évanouissent, l’objet, individu ou concept, demeure parce qu’il n’a pas besoin de nous pour exister (et réciproquement). Et, un jour, il nous saura gré de lui avoir donné l’occasion de l’apprendre par-delà la souffrance.
Mes mots vont rester et se fraieront peut-être un chemin, ou laisserons une empreinte. Tout comme l’exercice régulier de vous divertir aura laissé sa trace en mon âme.
* mot-valise composé de “despedida” (au revoir, prise de congé) et “dias” (jours).
** mot-valise composé de “altruiste” et “égoïste”