Dr Hamid Montakab
« Les rêves qui nous guérissent et ceux qui nous enseignent. »
Propos recueillis pas Delphine Lhuillier et Coralie Duteil
Le Dr Hamid Montakab travaille depuis de nombreuses années sur les troubles du sommeil et sur les rêves. Nous avons voulu explorer avec lui le mystère des rêves et leur rôle dans la médecine chinoise.
La médecine chinoise est-elle efficace pour traiter les différentes causes de troubles du sommeil ?
Oui, et elles sont vastes. Actuellement, il existe plus de quatre-vingts troubles du sommeil répertoriés, l’insomnie restant le plus fréquent. Les statistiques nous disent qu’un tiers de la population mondiale souffre d’insomnie contre seulement un quart il y a vingt ans. Dans certains pays industrialisés, cette proportion atteint 30-40 % de la population adulte et 15-25 % d’enfants ! Ces troubles du sommeil sont essentiellement liés à notre mode de vie, quelque peu artificiel : le foisonnement de sources sonores, de lumières, etc. Nous ne vivons plus au rythme des saisons, du jour et de la nuit. Il fait jour jusqu’à ce que l’on éteigne la lumière. Les hormones sont déboussolées et les cycles internes sont perturbés. On vit de surcroît de plus en plus rapidement.
Un organe est-il plus particulièrement fragilisé par les troubles du sommeil ?
Pour la médecine chinoise, c’est principalement le Cœur et le Foie qui sont en cause, mais il y a aussi les Reins. Aujourd’hui, plus de 80 % de la population occidentale est atteinte par une pathologie du foie (selon la médecine chinoise).
Selon le système de correspondances de la MTC, serait-ce signifiant d’un manque de joie et de beaucoup de colère ?
C’est selon moi surtout la conséquence de nombreuses frustrations, les gens vivant de moins en moins la vie qu’ils souhaiteraient, qui répondrait à leurs besoins. L’homme subit de plus en plus de pressions. Regardez les informations : la peur et l’insécurité se répandent partout. La joie authentique, celle du Cœur, a été remplacée par des plaisirs rapides. Aujourd’hui, il suffit de prendre des pilules pour se sentir mieux. Le cœur étant artificiellement stimulé, la personne ne parvient plus naturellement à retrouver un état paisible.
Pourquoi vous êtes-vous plus particulièrement intéressé aux rêves ?
Les rêves, décrits depuis l’Antiquité en Chine, ont été utilisés à des fins de diagnostic. Mais peu de praticiens de médecine chinoise les utilisent car bien souvent ils ne savent pas quoi en faire. Devant ce constat, je me suis plongé dans les textes pour en dégager des éléments pratiques et applicables aujourd’hui, sans avoir nécessairement une formation d’ordre psychanalytique. La psychanalyse s’est beaucoup appuyée sur les rêves mais dans un contexte différent.
Peut-on dire que le psy donne une interprétation psychique et le praticien de MTC une interprétation énergétique ?
Oui, il y a en médecine chinoise une interprétation énergétique du rêve, mais aussi émotionnelle ; les émotions représentant les causes internes des maladies. Une émotion devient déstabilisante parce que tel ou tel organe est en déséquilibre. De la même manière, les émotions qui surviennent dans les rêves peuvent, si besoin est, être régulées ou dispersées.
Si je vous comprends bien, les rêves envoient un message énergétique (tel ou tel organe est en plein ou en vide) que vous pouvez interpréter pour apporter le soin approprié ?
Pas tout à fait. Dans ma pratique, je commence par classifier les rêves. Il n’y a pas un rêve, mais différentes raisons pour lesquelles on rêve. Certains rêves ont pour but de soigner l’organisme tandis que d’autres nous enseignent. Certains rêves nous libèrent d’un dysfonctionnement énergétique provoqué par le climat ou des maladies externes tandis que d’autres essayent de libérer une accumulation émotionnelle.
Donc, il y aurait les rêves qui nous guérissent et ceux qui nous enseignent.
Absolument. De nombreuses traditions (tibétaine, taoïste, hindoue) évoquent les rêves initiatiques, dits conscients ou éveillés. Ces techniques sont enseignées depuis des milliers d’années. Les chercheurs d’antan souhaitaient accéder à cet état pour diriger leurs rêves et s’ouvrir à un monde auquel ils n’avaient pas accès pendant la phase d’éveil. Dans les rêves, il n’y a plus de barrières, de limites ou de filtrages. On peut voler, traverser les murs. Les rêves éveillés avaient pour but d’aider la personne à diriger ses rêves pour lui permettre de réaliser son processus d’évolution intérieure.
Quant aux rêves « thérapeutiques » ?
J’ai beaucoup d’exemples de patients qui se sont guéris à travers leurs rêves (sans que cela soit nécessairement des rêves éveillés). Je connais une patiente qui était atteinte d’un cancer. Une nuit, elle rêve de fourmis qui allaient et venaient autour de son cancer et jouaient de la musique avec leurs instruments. Elle commença à convoquer cette image, même lorsqu’elle restait éveillée ; elle finit par en rêver régulièrement jusqu’à une résorption totale de sa tumeur. Les médecins étaient ravis.
Les couleurs ont également beaucoup d’importance.
On fait une distinction entre les rêves en noir et blanc (liés aux Reins) et les rêves en couleur (liés au Cœur). Telle couleur va fortifier tel organe. Par exemple, ma femme fut atteinte un jour d’une broncho-pneumonie. Une nuit, elle rêva essentiellement de blanc : un cheval blanc, des champs de neige, beaucoup de blancheur. Or, en MTC, les rêves d’objets blancs signifient un état de vide des poumons, mais le blanc fortifie aussi les poumons. Au matin, sa fièvre était tombée, sa guérison était entamée. Il est fort probable que sa guérison eut lieu pendant son rêve.
Ces phénomènes sont-ils expliqués scientifiquement ?
Il existe une quinzaine de théories modernes qui traitent de l’interprétation des rêves. L’une d’entre elles soutient la notion d’organogenèse. Bien sûr, comme il existe de nombreuses catégories de rêves, il existe aussi beaucoup de théories. Mais j’ai essayé de les classer. Et surtout, j’ai tenté de donner des outils pour travailler facilement avec les rêves sans être formé à leur interprétation symbolique. L’idée consiste à comprendre leur message et à évoluer à travers eux. Dans les années 1980, en neuro-endocrinologie, la chercheuse C. Pert a découvert des neuropeptides libérés par le cerveau ; ils ont des récepteurs dans tout l’organisme, et mettent ainsi en relation le cerveau avec les cellules éloignées. Ces neuropeptides sont sécrétés lorsque l’on vit certains états émotionnels. Pendant les périodes de rêve, beaucoup de centres de l’activité cérébrale, comme les régions frontales, responsables d’évaluation de réalité, de volonté et de contrôle, ainsi que le cortex pariétal moteur, sont inactifs, par contre le système limbique (comportement émotionnel) et paralimbique, ainsi que la région visuelle et le cervelet restent actifs. Cette dernière gère nos réactions cardiaques, pulmonaires, etc., donc les mécanismes qui nous maintiennent en vie. L’hypothalamus droit, qui a pour rôle d’intégrer les perceptions sensorielles et les fonctions cognitives du cerveau avec la biologie de l’organisme est également actif. Lorsque l’on rêve, on a l’impression de vivre une réalité à 100 % mais dans les faits, on ne réagit pas physiquement. Pour autant, le cerveau libère énormément de ces fameuses molécules de l’émotion. L’organisme les reçoit et réagit en conséquence.
Nous sommes des êtres sensoriels, même lorsque nous rêvons !
Oui. Dans cet état situé entre le sommeil et l’éveil, nous sommes encore en ondes alpha, une suggestion peut alors remplacer le rêve. Si nous changeons le scénario de notre histoire, nous changeons les neuropeptides qui sont libérés. Avec de l’entraînement, on peut ainsi parvenir à des résultats assez étonnants. Le but du rêve éveillé est de diriger le rêve. Au lieu de le subir comme un témoin impuissant, on le dirige dans la direction que l’on s’est choisie.
Comment puis-je utiliser mes rêves ?
Il existe une technique très simple. Par exemple, si vous vous réveillez à la suite d’un rêve qui vous a troublé, vous pouvez essayer de vous remettre dans l’ambiance du rêve et de reprendre le scénario en cours pour ensuite pouvoir le changer. Ce serait comme un film que vous n’avez pas aimé. Vous en modifiez le scénario pour inventer une fin plus à votre goût. Pour y parvenir, il faut pouvoir accéder à cet état situé entre le sommeil et l’éveil, et vous raconter l’histoire différemment.
Dr Hamid Montakab www.chiway.ch/hamid-montakab.html