Accueillir… Et être responsable de sa liberté
Par Denis Marquet, philosophe, thérapeute et romancier
« Liberté : obéissance à qui l’on est. Esclavage : soumission à ce que l’on n’est pas.
Il est à noter que bien des esclaves se croient libres parce qu’ils se prennent pour ce qu’ils ne sont pas. »
Tariq Demens
La liberté des Modernes peut seulement se comprendre sur le fond des luttes de libération politique nées à la fin du siècle des Lumières. Avant elles, l’homme était un sujet. Ce mot dérive du latin sub-jectum, lequel signifie « ce qui se tient sous ». Sujet est celui qui est assujetti, littéralement sou-mis, à un souverain. Ce dernier tient lui-même sa légitimité d’une soumission, puisqu’il obéit à Dieu, source de tout pouvoir. Aucun homme n’est donc maître de sa propre vie : l’être humain est fait pour obéir à ce qui le dépasse.
Devenir son propre maître
A partir de la Renaissance, l’essor de la conscience individuelle rend une telle conception de moins en moins supportable. Puis à la Révolution Française, l’individu se libère de l’assujettissement et aspire à devenir son propre maître. Le sens du mot sujet se transforme ; « se tenir sous », ce n’est plus être soumis, mais occuper la place de fondement. C’est le sens de la subjectivité moderne : le moi individuel est le soubassement, le seul principe de sa propre vie. Il est l’origine de lui-même. Il est libre.
Un être humain pulsionnel
Mais l’est-il vraiment ? Certes, à partir de la modernité, ce n’est plus un autre qui est le principe de ma vie, c’est moi. Mais qui, moi ? Les penseurs de la subjectivité moderne dressent le portrait du sujet rationnel, maître de ses choix dont il peut produire les raisons. Sa liberté est celle du libre-arbitre car il délibère intérieurement, examine les différentes options, se décide pour la plus raisonnable. Mais à la fin du 19e siècle, le soupçon commence à peser sur cet ego si sûr de son fait. Ses belles raisons ne seraient-elles pas la rationalisation de forces qui décident de sa vie à son insu ? Le moi, qui se croit libre, ne serait-il pas semblable, comme le suggère Freud, au « stupide Auguste du cirque, qui met son grain de sel partout pour que les spectateurs croient que c’est lui qui dirige tout ce qui se passe » ? On réalise alors que le moi n’est sans doute qu’une personnalité conditionnée fabriquée par la pulsion. Comment serait-il libre ? Aujourd’hui, la postmodernité semble avoir abandonné l’idée même d’une autonomie du sujet, se satisfaisant d’un être humain pulsionnel, consommateur et prédateur.
La vérité de mon être
Plutôt que de désespérer de la liberté humaine, nous pouvons voir dans cette situation une opportunité. Je ne suis pas libre d’emblée ; mais, contrairement à ce que pensait Freud, je ne suis pas que pulsion. Je peux donc me libérer de son emprise. Le but de la pulsion, selon le père de la psychanalyse, est de supprimer la sensation d’intensité vitale. La pulsion est un non à la vie engrammé dans les automatismes du corps. Mais le vivant de notre chair peut devenir le lieu d’un oui à la vie. C’est une voie. Il s’agit d’apprendre à accueillir la moindre sensation, aussi intense, voire douloureuse, soit-elle. Coïncidant avec la réalité de mon incarnation, je retrouve peu à peu l’unité. J’accueille ma vérité, laquelle se donne comme une spontanéité du corps qui s’ajuste aux mouvements du réel. Chacun de mes actes et toute ma vie expriment alors, non pas mon petit moi pulsionnel, mais la vérité de mon être. Et si là résidait le chemin d’une liberté pour aujourd’hui…