La Nouvelle Athéna
Dans son ouvrage Les Nouvelles Salopes (ed. Tournon, 2007), la journaliste américaine Ariel Levy dépeint avec un humour féroce celles pour qui l’émancipation passerait par l’exploitation des codes de la culture porno. Parce qu’elles s’exhibent sans tabous et multiplient les transgressions (dé)culottées, ces femmes s’estimeraient aussi libres et puissantes que ceux qui restent leur référentiel: les mâles alpha. En s’appropriant les règles du jeu relationnel de ces messieurs, elles pensent atteindre l’égalité pour laquelle ont milité leurs aînées. Peut-on pour autant applaudir lorsqu’à y regarder de plus près les motivations qui sous-tendent les valeurs viriles qu’elles revendiquent posent question?
Retraçant les grandes lignes de la vague féministe des années 60-70, Ariel Lévy met en lumière une problématique essentielle: quand les femmes luttent pour l’égalité, cherchent-elles le pouvoir ou la reconnaissance de leur spécificité? D’un point de vue archétypique, cela revient à se demander si leur quête relève d’Artémis ou d’Athéna, deux déesses grecques incluses dans la typologie psychologique définie par la psychiatre et analyste jungienne Jean Shinoda Bolen (1).
Artémis et Athéna sont les filles de Zeus, le roi de l’Olympe (2). Si les deux bénéficient de la reconnaissance paternelle, elles y apportent très tôt une réponse radicalement différente: Artémis s’émancipe pour se vouer à aider les autres femmes, Athéna reste fidèle au modèle patriarcal en se mettant au service des hommes, parfois au détriment de ses congénères (3). Psychologiquement, tandis que les femmes marquées par la figure d’Artémis seraient motivées par le droit d’exister par elles-mêmes, notamment au sein de relations amoureuses « gémellaires » (mais non exemptes de compétition mal placée (4)!), les femmes marquées par Athéna tendraient plutôt à former des alliances stratégiques avec des hommes puissants afin d’accéder à leurs privilèges. Si les deux profils peuvent coexister psychiquement ou collaborer au sein d’un groupe, leurs objectifs restent divergents: quand la femme Artémis cherche la liberté à travers l’actualisation d’une fraternité intra et intergenres – ce qui demande de renoncer au rapport de force – l’Athénienne ruse, elle joue à fond la carte de l’intégration sociale pour dominer afin de ne pas être victime, quitte à devenir le bourreau de ses sœurs.
Que nous apprend au bout du compte cet aparté psycho-mythologique ? Peut être que si les moeurs et les expressions archétypiques évoluent au fil du temps, les illusions égotiques restent cruellement d’actualité tant que l’on n’a pas illuminé ses zones d’ombre. Les Nouvelles Salopes voudraient nous convaincre du haut de leurs escarpins et entre deux déhanchés lascifs de pole dance qu’elles sont des amazones qui gèrent et qui maîtrisent, de « vraies féministes » parce qu’elles assument et assurent comme – voire mieux – que ces hommes dont elles ne cessent pourtant d’épouser de bonne foi les normes fantasmatiques. Mais si la nouvelle Athéna a troqué son tailleur strict d’executive woman pour un string dépassant de son jean taille basse, force est de constater qu’elle demeure une fille soumise du patriarcat…
(1) in Godesses in everywoman (2) et accessoirement archétype dominant chez le mâle Alpha évoqué plus haut (3) ayons ici une pensée émue pour Méduse, jeune nymphe d’abord transformée en monstre (Poséidon avait eu le mauvais goût de la violer dans le temple de sa nièce) puis décapitée pour que Persée puisse prendre du galon! (4) Artémis est la jumelle d’Apollon ; leur relation fusionnelle teintée de compétition la conduira à perdre son seul amour, Orion