L’homme, ce miel interdit
J’accompagne depuis quatre ans un groupe féminin d’expression artistique spontanée et jeux de développement personnel. En ce joli mois de Mai nous entamons notre troisième séance avec Le Jeu du Phénix (1), et la carte qui se présente comme but du voyage en cours est « le Miel ». Les bonnes vivantes jubilent, les plus timides ou mal assurées restent perplexes; toutes bloquent un peu, dans le fond, à l’idée d’un plaisir décomplexé dont il suffirait de jouir. Malgré tout elles « bullent » (2), puis quand vient le moment du partage l’ambiance propice à la digression nous conduit à cette question : pourquoi est-ce si difficile de savourer l’autre?
A cette prise de conscience personne n’échappe! Mais qu’est-ce qui fait que face à « lui » (3) nous baissons les yeux, devenons nerveuses ou agressives, quand nous ne sommes pas prises d’une furieuse envie de déménager aux antipodes? Tandis que chacune fouille dans ses souvenirs et copinages en quête de réponses, une participante au prénom fleuri fait mouche: c’est le jugement porté sur notre gourmandise potentielle de l’homme qui nous terrorise. La peur qu’une vilaine “petite cochonne qui aime ça” ne s’échappe du cachot où nous la retenons prisonnière nous parasite, relayée par l’angoisse que notre corps nous trahisse et révèle l’insoutenable vérité: les femmes aussi aiment avec leur entrejambe….
Car il en faut du courage pour assumer ses appétences quand on est dotée d’une paire d’ovaires! On peut être forte en gueule pour revendiquer son indépendance d’amazone ou singer Don Juan, le véritable chavirement que provoque un sourire, un regard ou la délicatesse d’une phrase émanant d’un beau sujet, c’est autrement plus compliqué à recevoir sans s’excuser d’y prendre du plaisir. Conquérir comme un homme est une chose, exprimer son désir comme une femme en est une autre, et si la France reste dans l’imaginaire planétaire le pays de l’amour, il faut l’entendre comme étant celui des séducteurs et des filles faciles.
Entre rires et émotions, la séance d’atelier nous montre qu’il est plus facile pour nous de voir dans celui qui réveille nos ardeurs culpabilisées un frère ou un ami voire, si l’impact est trop puissant, de battre en retraite. Hantées par la perspective d’un sévère jugement social qu’entretiennent nos représentations mentales, nous nous découvrons promptes à sacrifier l’élan amoureux spontané qui nous porte vers un autre afin de préserver poliment la pudeur moribonde de la France à papa. Car on aura beau dire crânement que le système est un “vieux con” accroché aux privilèges que lui confère son âge canonique, nous peinons à nous extraire de siècles de conditionnements pour passer du statut de petites filles ou adolescentes rebelles à celui de femmes libres.
(1) Vincent Cespedes, éditions Flammarion
(2) allusion à l’exercice-phare de l’atelier, le « diagramme à bulles » d’Anne-Marie Jobin
(3) il ne sera question ici que de relations hétérosexuelles