Des sens à sa vie
L’art du sens et de la question
Partir dans le bon sens, donner un sens à sa vie, éveiller ses sens. De la dimension la plus pragmatique à la plus existentielle, comme un fil d’Ariane, ce mot magique : sens ! Si vous consultez un dictionnaire, vous lui trouverez une foultitude de définitions et de locutions, plus « insensées » les unes que les autres ! Mises bout à bout, vous découvrirez associées au mot des notions aussi différentes que les perceptions, l’instinct, la finalité de l’existence, la connaissance, l’intuition, la raison, le jugement et bien sûr, l’orientation.
Ne trouvez-vous pas que c’est un savoureux paradoxe de voir cohabiter les perceptions et l’instinct avec la raison et le jugement qui si souvent mènent en nous une lutte sans merci ? Nous sommes peut-être la savante alchimie de tous ces ingrédients et de tous ces paradoxes apparents. Et si ce tout donne un sens à notre vie, ne serait-ce pas plutôt une consistance ? Car il est peut-être plutôt question de qualité de vie que de sens. En effet, à quoi me sert-il, quand j’y pense, d’aller dans la bonne direction si le chemin n’est pas doux, intense, riche, profond, léger, vibrant, serein, aimant ? Ma capacité à ressentir le plaisir de chaque instant vécu est d’ailleurs une bonne mesure. C’est une dynamique globale, un « vivre » intégral : élargir mes perceptions, me fier à mon instinct, ne jamais cesser le questionnement intérieur, connaître. C’est aussi savoir juger, être capable de discerner (un appui certain pour mon ressenti). C’est affiner ma capacité à raisonner, à analyser ; le tout agissant dans une globalité chaotique et finement construite. Le sens donné à ma vie n’est plus alors une direction, ni un but en soi. En réalité, il s’actualise à chaque instant en moi, sous le feu de mes expériences. Je n’y réfléchis pas, le sens de ma vie agit par lui-même et se redéfinit en permanence dans une direction qui souvent m’échappe. C’est sa part de mystère.
Alors, avons-nous besoin de sens pour vivre ? Vivre ne suffit-il pas ? Question existentielle depuis la nuit des temps me direz-vous. Après des années d’un regard laborieux posé sur ma vie, j’ai choisi à la fois de vivre sans retenue, et de continuer à m’interroger pour sans cesse réactualiser l’état de mes croyances et de mes fonctionnements. C’est vrai, nous ne nous rendons souvent même pas compte que ce qui guidait nos vies avait changé de direction. Que ce qui représentait l’essentiel était devenu subsidiaire. Or, même le sens que je donne à ma pratique se réactualise. Je ne pratique plus aujourd’hui comme hier et comme sans nul doute demain. Parfois, je m’égare, je m’éloigne. Parfois, je vis des révélations, j’accède à une nouvelle dimension. Alors, dans quel but pratiquons-nous ? C’est une vraie question pour savoir où je me place, vers quoi je peux évoluer. Je pratique pour aller mieux, pour aller bien, pour oublier, pour m’épanouir, pour être efficace, pour le plaisir, pour rien ? Et pour qui ? Pour moi, personne, les autres, la société, la nature, le monde, pour les générations futures ? Est-ce que je pratique avec amour ? Dans l’effort ? Quel est son goût ? Suis-je éveillée ou suis-je anesthésiée ? La dépression se vit quand il n’y a plus « d’en-vie », quand la vie n’a plus de sens dit-on couramment. Ah, c’est donc bien qu’il y en eût un avant. Mais lequel ? Cela pourrait bien être le « sens du vivre » ou un sens inné dont nous parfois nous nous coupons. Et la conscience ? Elle pourrait seulement être l’expression de la vie, mais peut-être prend-elle sa source ailleurs. A moins de réaliser un authentique « travail » sur soi, difficile de savoir si je suis dans la simplicité du « vivre » ou dans le « vivre » qui m’a été inculqué par mon entourage ou ma culture. Si mon entourage n’est plus à l’image de ce que je voyais, si la culture qui m’a donné un sens s’écroule. Que se passe-t-il alors ? Suis-je comme ces oiseaux qui ont, transmis en eux, le sentiment spontané du trajet à suivre ? Whaouh, c’est vraiment vertigineux tout ça ! Alors, une nouvelle proposition pour conclure : peut-être devrions-nous dire « donner des sens à notre vie » plutôt que lui donner un sens. Parce qu’il n’y a pas qu’une vérité, il y en a plusieurs. Et c’est une perspective généreuse de percevoir une pluralité. C’est l’espace du possible. Et puis, « donner des sens à notre vie », c’est aussi lui « donner du ressenti » : mieux voir, mieux goûter, mieux entendre, mieux toucher, mieux sentir, mieux ressentir. C’est ça la douce puissance de la sensorialité. That’s the meaning of life !