Du pouvoir sur l’autre à la maîtrise de soi
Dans son ouvrage Rêver l’obscur, Starhawk consacre un chapitre aux notions de « pouvoir sur et pouvoir-du-dedans » (1). Elle définit le premier comme l’expression d’un positionnement dominateur envers l’autre (humain, animal, végétal…), le second comme l’expression positive de sa puissance créatrice intérieure.
Le « pouvoir sur » est le fruit d’une perception du vivant séparatiste dominée par la peur de l’altérité et la nécessité de la mettre à distance pour la garder sous contrôle. Parce que je crois l’autre différent de moi je nourris en interne la méfiance, parfois jusqu’à la paranoïa: quelles sont ses intentions à mon égard? Puis-je m’ouvrir à lui sans réserve, sans risquer d’être agressé par ses jugements ou ses comportements? Si je lui donne le meilleur de moi-même, ne va-t-il pas en profiter pour me spolier, m’exploiter, jusqu’à ce que je devienne son esclave? Puis-je recevoir de lui sans contrepartie cachée, sans devenir dépendant? Ici la peur domine, qui nous maintient dans l’illusion qu’il nous faut survivre dans un milieu hostile marqué par la prédation: même dans la jungle urbanisée, il faudrait savoir travestir son être pour prendre un maximum à moindre frais car telle serait la dure loi de la vie. La dynamique consumériste qui anime cette construction mentale exalte l’égoïsme, ce qui nous pousse à exercer le « pouvoir sur » l’extérieur en élaborant des stratégies de manipulation plus ou moins violentes.
A l’opposé de cette conception combattive et brutale des relations, le « pouvoir-du-dedans » invite à l’ouverture comme manifestation de la foi en l’immanence, c’est à dire la certitude que tout ce qui « est » relève d’une même sacralité. Parce que je conçois toute forme de vie comme une variante formelle d’une même essence valeureuse, je cultive en moi la fleur de l’amour inconditionnel; ses racines plongent au coeur de mon identité, absorbent les leçons douces ou amères de la vie pour croître, et c’est par la grâce du contact chaleureux avec un autre qu’elle s’épanouit pour embaumer l’atmosphère du lien. Alors je me sens authentiquement puissant parce que je suis libéré de la peur, et ce faisant je peux manifester sans armure la grandeur de mon âme en tant qu’individu participant d’une communauté. Le groupe n’est plus envisagé comme une meute de charognards fourbes ou enragés mais comme de multiples reflets de l’humanité me renvoyant la même aspiration au partage.
Quand le « pouvoir sur » nous asservit au profit de nos propres ténèbres – dont l’autre n’est jamais qu’un écho – le « pouvoir-du-dedans » nous fédère et nous adoube pour servir la plus noble des causes : la maîtrise de soi. Alors les cloisons qui nous isolent de l’autre (2) volent en éclat pour libérer le sentiment d’unité originelle.
(1) chapitre I, p.35 à 53 éditions Cambourakis, collection Sorcières. A commander sur le site esprit-de-femmes.com
(2) qu’il s’agisse d’autres individus ou des multiples facettes de notre personnalité