Enseignement et transmission : la voie des arts martiaux
Par Pol Charoy
S’il existe une grande diversité de styles dans les arts martiaux, il y a aussi non pas une, mais des manières de les appréhender :
Comme un art ou un sport : c’est l’état d’esprit du pratiquant qui détermine cette orientation ; son intention de pratique la définissant comme un sport ou un art. Aujourd’hui, beaucoup de compétiteurs choisissent une pratique sportive et n’adhèrent pas à une culture martiale.
Comme un art guerrier : les arts martiaux peuvent être pratiqués comme un art de guerre en formant des soldats et une élite pour les commander. Privé de philosophie ou/et de spiritualité, le pratiquant d’arts martiaux dans ce cadre ne peut se transformer qu’en « machine de guerre ».
Comme une voie : la « voie » des arts martiaux, pratiquée en temps de paix, s’oriente vers la santé et l’évolution spirituelle. Elle nécessite une maîtrise à la fois technique, émotionnelle et intellectuelle pour se comporter en homme libre qui agit selon les lois de la nature. La philosophie des arts martiaux n’apparaît pas sous la forme d’un exposé dogmatique, elle incarne plutôt une sagesse issue de différents milieux ; en Chine par exemple, le Chamanisme, le Taoïsme, le Bouddhisme et le Confucianisme en sont les fondements et le creuset.
Depuis tout temps, de l’Inde à la Chine, les arts martiaux ont été considérés comme des « voies », des cheminements spirituels qui peuvent être on non associés à des courants religieux. Ainsi de nombreux arts martiaux sont issus du « chamanisme » ; la gestuelle s’inspirant de la nature et de l’observation du comportement animalier pour développer des techniques martiales et énergétiques. Rappelons qu’au Japon, c’est le Shintoïsme qui a inspiré le fondateur de l’Aïkido, Morihei Ueshiba, et non le Zen, comme beaucoup pourraient le croire. Le Shintoïsme mélange des éléments polythéistes et animistes ; le concept majeur du Shintoïsme étant le caractère sacré de la nature. Ainsi, une rivière, une montagne, notre soleil ou la lune, sont considérés comme des divinités. En Inde, la tradition orale et certains écrits signifient que le jeune prince Siddharta avait ardemment pratiqué le Kalarippayat avant de vivre sa quête d’éveil pour devenir Bouddha. En Chine, les écoles furent d’abord taoïstes, puis bouddhistes, avant d’être confucianistes, sans compter la grande communauté musulmane chinoise. Il est encore aujourd’hui de bon ton pour une école d’arts martiaux d’afficher sa foi par un attachement à une lignée traditionnelle remontant par exemple aux moines de Shaolin (Bouddhistes) ou du mont Wudang (Taoïstes).
Ceci étant dit, le développement contemporain des arts martiaux chinois est aujourd’hui plus laïc. La formation se dit « scientifique » et est validée par le label de cursus universitaires pour devenir professeur et/ou entraîneur. Difficile donc de répondre à cette question en se contentant de dire oui ou non. La réalité des cultures, des pays, des régions et des écoles était et reste encore inscrite dans une telle biodiversité culturelle que foi spirituelle, foi religieuse et laïcité animent tout à la fois les écoles d’arts martiaux d’aujourd’hui.
« Dans la pratique de l’art martial, si la philosophie est isolée de l’action, celle-ci se dessèche. De même si l’action est séparée de la philosophie, elle devient agitation vaine. Mais si on joint les contrastes, c’est la lumière de la vie qui apparaît. »
Existe-t-il une hiérarchie au sein des arts martiaux ?
S’entretenir sur les martiaux nous ramène à un domaine aussi vaste que la danse ou la musique et il est nécessaire de cerner davantage l’espace géographique, l’époque et le contexte historique. De quels arts martiaux parlons-nous ? L’Inde, la Chine, le Japon, l’Indonésie, la Thaïlande, l’Europe, la France avec l’escrime et ses maîtres d’armes, ou l’Afrique avec ses danses guerrières devenues par exemple la Capoeira au Brésil ? Néanmoins, nous pouvons dire que dans les écoles dites modernes, la hiérarchie traditionnelle de maître à disciple n’existe plus. Elle est remplacée par un respect dû au professeur qui s’imprègne de la culture du pays. Respect qui se retrouve dans toutes les matières étudiées. Dans les écoles traditionnelles, la hiérarchie demeure très importante ; elle est même cultivée, notamment à travers des rituels, comme le salut aux aînés, aux anciens, aux plus gradés et au maîtres, vivant et disparus. Cette hiérarchie se veut au service d’une fraternité et d’une solidarité ; les élèves devenant « frères » au sein de l’école du maître ou de son représentant. La place dans cette fraternité est donc liée à la date d’entrée dans l’école et non à l’âge civil ; une personne plus jeune pouvant se retrouver l’aînée d’une personne plus âgée. La filiation, plus cachée que celle du lien du sang (familiale), se rattache à la seule compétence du disciple reconnu par le maître de son vivant. La hiérarchie liée aux ancêtres disparus signifie que tous les élèves les saluent par respect, selon un rituel prédéfini, avant et après la leçon, pour se remémorer l’histoire du style de leur art martial et les maîtres qui l’ont incarné.
Enseignement et transmission
D’un maître oui, pour incarner et transmettre une connaissance vivante, dans sa totalité. Seront transmis au disciple la maîtrise technique et martiale, les vertus pour révéler l’incarnation spirituelle et les enseignements qui conduisent vers l’éveil, mais rares sont les pratiquants qui choisissent aujourd’hui cette voie. Il nous est plutôt donné de rencontrer des experts-devenus professeurs (que l’on qualifie parfois de maîtres), et je le dis avec estime. Chacun enseigne un art, une discipline, une méthode, dans le respect d’une lignée, d’une tradition, en attendant le jour où un nouveau maître se révélera au contact de cet enseignement et vivifiera à nouveau cette tradition. Dans ce sens, je distingue l’enseignement de la transmission. Dans la plupart des écoles d’arts martiaux aujourd’hui, il existe un enseignement (qui peut être de grande qualité) dispensé par des experts et des professeurs. La transmission ne peut se réaliser que dans une présence « intime » avec un maître. Sans avoir à chercher des exemples orientaux (trop souvent fantasmés), nous pouvons plus simplement nous appuyer sur l’image du compagnonnage occidental où l’apprenti, après avoir atteint un certain niveau de savoir-faire, part sur les conseils de son premier maître, parcourir le pays pour rencontrer d’autres maîtres afin de parfaire sa transmission et devenir à terme et à son tour un maître dans son domaine. Celui-ci se retrouve alors responsable de l’expertise qui lui a été transmise, mais aussi dépositaire d’un devoir de transmission. La progression technique et mentale, l’énergie et l’efficacité, sont alors canalisées vers l’éveil d’un esprit chevaleresque guidé par la grandeur d’âme.
Pol CHAROY a été champion du monde de Kung Fu Wu Shu en 1983. Responsable et jury dans plusieurs fédérations d’arts martiaux chinois. Cofondateur avec sa compagne Imanou Risselard de Génération Tao (www.generation-tao.com) et du Centre Tao Paris (www.centre-tao-paris.com). Ensemble, ils ont créé un art corporel et énergétique contemporain, le Wutao (www.wutao.fr) qui se diffuse aujourd’hui au niveau national et international.