Le triomphe des filles d’Héra
Elles s’appellent Médée, Clytemnestre, Catherine ou Valérie (1).
Elles ont aimé, ont cru dans la réciprocité; elles ont été humiliées. Elles ont choisi de défendre leur honneur – et pour certaines leurs vies – par elles-mêmes; la société les a réprouvées, en a fait des victimes au sens premier du terme, c’est-à-dire des sacrifiées. Une sorte de tribut à notre moi collectif boursouflé de lui-même, afin de maintenir son idéal culturel de justice démocratique.
Rappelons ici que le peuple au pouvoir (2) dans l’Athènes antique excluait les femmes et les étrangers. Malgré ses efforts pour vaincre les résistances, la civilisation post-moderne reste façonnée par une forme d’aristocratie phallocrate qui entend exercer droit de vie et de mort sur ceux qu’elle protège et gouverne, bien qu’à y regarder de près elle ne représente bien souvent que ses propres intérêts. Parce qu’elle maîtrise l’accès au minimum vital, elle décrète ses propres lois et la norme pour les transgresser ; se faire justice alors qu’on est de sexe féminin n’en fait pas partie. On peut ainsi “choper de la meuf par l’entrejambe” grâce à son bagout quand on se nomme Donald (3), Dominique, Jason ou Agamemnon; il est choquant ou déplacé de s’en offusquer si l’on s’appelle Hilary ou Tristane (4).
Dans l’univers du masculin radicalisé, les reines doivent savoir souffrir en silence sous peine d’être répudiées ou calomniées. On appelle cette posture imposée la dignité . Lorsqu’elles prétendent exprimer leur peine ou leur déception, lorsqu’elles attendent de l’autre le respect de leurs valeurs ou de leur intégrité, lorsqu’elles demandent des excuses ou une réparation, le discours privé ou public opère invariablement un glissement du substantif vers le qualificatif : déchue de son piédestal, la souveraine devient une hystérique, une chieuse, ou encore une emmerdeuse. Bref, un résidu de nourritures affectives dont les émanations indisposent.
Les mythes dévoilent cette réalité sans fards. Tandis qu’ils présentent Héra comme une furie possessive et les héroïnes infanticides ou adultères comme des monstres motivés par une folie haineuse, ils glorifient Zeus – violeur sériel– et les héros infidèles qui manipulent leurs amantes pour assouvir leurs ambitions sociales. Si nos réalités fantasmatiques individuelles et collectives sous-tendent nos croyances et nos actions, elles n’échappent pas pour autant aux dynamiques humaines, ce dont témoignent les mésaventures chroniques de nos élus politiques au fil de l’Histoire. Tout excès appelant son contraire, celles qui furent bafouées voient tôt ou tard leurs offenseurs discrédités.
Telle est la loi karmique que la psychanalyse nomme le retour du refoulé: quand bien même il aurait été habilement camouflé et les témoins de son infortune achetés, un cadavre finit toujours par sortir de son placard pour confondre le véritable coupable…
(1) Catherine Sauvage, Valérie Tierweiler
(2) étymologie de démocratie
(3) Allusion aux propos récents de Donald Trump et à l’affaire DSK
(4) Hilary Clinton, Tristane Banon