Liberté corporelle et corps de rêve
Un cheminement initiatique
Pol Charoy ou l’itinéraire d’un homme engagé, sacré champion du monde de Kung Fu en 1983. La complétude de son cheminement et la force de ses prises de conscience nous interpellent pour incarner ici bas notre « Corps de Rêve* ».
Ma vie chanceuse de jeune homme fut ponctuée en 1983 d’un titre de Champion du monde en arts martiaux, puis de mon intégration dans l’école du cirque d’Annie Fratellini, enfin de mon expérience scénique de danseur et chorégraphe martial. Cette liberté de mouvement liée à la virtuosité et à la beauté du geste « performant » m’a comblé jusqu’au jour où je fus rattrapé par une blessure qui m’immobilisa pendant des mois et remit en question la liberté corporelle chèrement acquise par des heures d’entraînement.
La blessure initiatique
Je cherchais alors à ressentir le plaisir d’un corps libre et affranchi des limites de la pesanteur. Cette blessure devenue initiatique continua son œuvre alchimique en me clouant sur la « croix » d’un lit. Elle me guida vers la prise de conscience que cette recherche de liberté était vaine : tenter d’échapper au « poids » de la pesanteur terrestre pour incarner dans mon corps ce goût de liberté venu d’ailleurs ou bien d’avant… Je me suis petit à petit aperçu que cette quête se manifestait en moi en réponse au sentiment profondément enfoui de l’inéluctabilité « mortelle » de mon corps ; ce lieu chargé d’histoires et de mémoires, tant individuelles que transgénérationnelles et transpersonnelles qui façonnent à la fois notre forme, définissent nos capacités, mais aussi nos aspirations et nos désirs. C’est ce corps que je fuyais dans l’espoir, ou devrais-je mieux dire dans le « désespoir », de le voir se transformer par ma pratique martiale pour échapper ainsi à la fatalité de la mort commune à toute vie sur terre. Néanmoins, cette fatalité où l’enjeu était la survie frappait à ma porte d’une manière souvent déguisée (ma mère devenue orpheline à 7 ans ou l’accident de mon père quand j’avais 5 mois)… Ainsi, malgré des heures d’entraînement et de répétitions, je suis resté avec un sentiment d’entrave. Ce que j’accomplissais scéniquement et le sentiment de liberté qui en découlait ne représentaient qu’un dixième de ce que je réalisais avec mon « Corps de Rêve » où mon sentiment de liberté et de chorégraphie était là total…
Suivre mon « Corps de Rêve »
Je me suis donc mis à accorder plus d’attention à celui-ci et à l’intégrer comme un Maître frayant le chemin que j’allais emprunter ; il me suffisait tout simplement de le suivre. Pédagogiquement, c’était une révolution ; il ne s’agissait plus d’apprendre, mais plutôt d’ôter ce qui empêchait l’art, le geste, de se révéler. C’est ainsi que mon regard sur ma pratique corporelle commença à changer, en voyant dans les représentations martiales asiatiques, non plus des phantasmes puérils, mais des « corps de rêve » en action. Mon entraînement, à l’image de la pratique des Yamakasi, prit alors une autre dimension : incarner le mieux possible dans ma vie ordinaire la liberté extraordinaire de « mon corps de rêve » : dans mon art, mais aussi dans tous les aspects de la vie, allant de mes engagements sociaux à mes entreprises professionnelles. Pourtant, ce sentiment de liberté, sous l’effet du temps qui passe, s’estompa à mesure que mes capacités à la performance physique s’amenuisaient. M’apparut alors l’importance du « sentiment de liberté ».
Cultiver le sentiment de liberté
Pendant toutes ces années, je ne m’étais attaché qu’à l’expression du seul mot « liberté » effaçant le « sentiment ». Péché de jeunesse ! Cette nouvelle révolution bouleversa totalement ma pratique martiale et corporelle. Je décidais alors décidé d’élaguer tout ce qui n’était pas une « liberté durable » et je m’aperçus que ce qui demeurait résidait dans ce fameux « sentiment » de liberté et non la liberté elle-même. Et c’est ainsi, qu’accompagné par Imanou, nous avons cheminé vers la création d’un art corporel, le Wutao, qui insiste sur le fait qu’un geste ou qu’une posture ne sont pas seulement bio-mécaniques, mais aussi bio-sentiments. Depuis, je cultive davantage le sentiment du geste que la performance pour atteindre d’une manière durable le « sentiment de liberté ».
* Cette notion a été créée par Pol Charoy et Imanou Risselard pour signifier que nous possédons une « forme » qui précède ce que nous accomplissons.