Méditer, c’est agir centré
Préparer son départ et réussir son voyage
Par Georges Charles, pionnier des arts martiaux internes chinois
Il convient tout d’abord de mieux redéfinir le terme « méditation » et notamment à l’époque où les Jésuites ont choisi ce terme pour désigner des pratiques chinoises, parfois religieuses, provenant de l’Inde et se retrouvant conjointement en Chine dans les doctrines bouddhistes, taoïstes et confucianistes.
Préparer, se tenir prêt…
Le terme grec, meditor, qui a ensuite donné le latin meditatio, signifie originellement : « préparer, se tenir prêt, étudier, pratiquer ». La racine commune est medius qui signifie : « au milieu, au centre, intermédiaire, intervalle de temps et d’espace » mais aussi : « mesuré, pondéré ». Etymologiquement, il est rappelé par Guicherat, Chatelain et Sommer que « méditation » signifie : « agir centré en vue d’obtenir un résultat ». Il s’agit aussi bien de préparer son départ que de réussir son voyage. Le terme latin meditate, qui résulte de la méditation, signifie : « faire sciemment ». Par la suite méditer a pris une autre signification qui implique la réflexion. Plus récemment encore, la définition s’est diluée dans le néant et nombreux considèrent encore que la méditation consiste en une espèce de sieste plus ou moins éveillée. Loin d’eux l’idée que la méditation puisse changer la face du monde ou simplement quoi que ce soit aux choses de la vie…
Agir avec la conscience du centre
Lorsque les traducteurs jésuites ont découvert le mot Chan, ils ont cherché ses origines. Avant l’arrivée des premiers pèlerins bouddhistes en Chine (1er siècle ap. J.-C.), Chan selon le dictionnaire Ricci signifiait : « Offrir un sacrifice à la terre ou aux divinités de la nature » et par extension : « préparer, nettoyer, aplanir un terrain pour le rendre propice à un rituel ». Avec ce commentaire : « transmettre, léguer un héritage à un homme d’une famille étrangère », et encore : « paisible, repos, état contemplatif, contemplation à cinq degrés, moyen de perfection ». Par la suite il a désigné la : « concentration de l’esprit, la contemplation puis l’une des écoles du bouddhisme ». Comme il était question de bouddhisme, les Jésuites ont donc cherché s’il existait une racine indienne correspondant à cette pratique et ils trouvèrent celle-ci dans le Dhyâna qui provient de Pali Jana en sanscrit. Or Jana signifie littéralement : « concentration correcte, agir en soi, centré, avec la conscience du centre ». Etymologiquement, le Dhyâna indien serait donc devenu le Chan Na en Chine où il se serait rapidement adapté en assimilant les principes confucianistes (la notion de rituel dans les sacrifices aux esprits de la Terre et du Ciel) et taoïstes (la fusion dans le Tao et les pratiques de l’alchimie interne). Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit toujours de « méditation » donc d’action centrée, soit « agir avec la conscience du centre ».
Agir avec conscience
Pour de nombreux maîtres chinois la « conscience du centre » n’est autre que le « juste milieu ». Ce juste milieu est également représenté par les « trois enseignements qui ne font qu’un » que sont le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme. Au centre de chacun de ces enseignements réside la capacité d’agir centré en vue d’obtenir un résultat. Les moyens ou les outils peuvent varier mais le but demeure le même : c’est le cheminement vers le sommet qui est important car le voyage vers le but importe plus que le but lui-même. La méditation nous enseigne simplement à préparer ce voyage pour mieux le réussir. Le taoïste Tchouang Tseu, en homme de bon sens, donne ainsi un conseil avisé : C’est en marchant que la voie est tracée, c’est en nommant que les choses sont définies. Seul l’être réalisé sait que la compréhension mène à l’unité, aussi rejette-t-il ses préjugés pour s’attacher à la juste mesure. La juste mesure permet la pratique, la pratique amène un résultat, le résultat représente le succès. Parvenir au succès est proche du Tao. Il faut affirmer ce fait. Accomplir simplement ainsi, voilà le Tao. Le Prince Liu An dans le Houai Nan Tseu, au 2e siècle avant notre ère, décrit la méditation en ces termes : Temps et espace se confondent alors dans le flux et le reflux, le Tao n’est alors ni devant ni derrière il est autour et au centre. Le centre est alors partout et la périphérie nulle part. Ce qui semble inaction est alors en mouvement. Il n’est donc pas nécessaire de rester assis sans rien faire pour prétendre s’approcher du Tao. Etre assis sans rien faire n’est pas méditer ! Méditer, c’est agir avec conscience, ce n’est pas l’inaction. La pratique est méditation. La méditation est pratique.