Michel Jreige
« Le Bigu est une pratique de jeûne taoïste. »
Propos recueillis pas Delphine Lhuillier
Michel Jreige, praticien et formateur en Médecine traditionnelle chinoise, nous explique la différence entre le jeûne et la pratique spirituelle du Bigu.
Bonjour Michel, pouvez-nous expliquer ce qu’est le Bigu ?
Le Bigu est une pratique taoïste qui n’est pas très répandue. Bi signifie éviter ou arrêter et Gu représente les céréales, et par extension, toute sorte d’aliment. Les pratiquants de Bigu sont réputés pour arrêter de manger et boire pendant de longues périodes, de quelques semaines à plusieurs années.
N’est-ce pas en contradiction avec les principes de la médecine chinoise ?
D’un point de vue médical occidental ou chinois, le jeûne sur une si longue période est impossible. La médecine chinoise considère l’humain comme un vase clos qui reçoit l’énergie du ciel antérieur, ses parents, et l’énergie du ciel postérieur, la nourriture et la respiration. Si une personne arrête de manger, les trois réchauffeurs ne reçoivent pas la nourriture qui leur est nécessaire, le Jing rénal s’épuise et l’on s’achemine graduellement vers la maladie, voire la mort. Plus précisément, notre corps, quotidiennement, élabore des toxines. Si nous mangeons et buvons peu, nous diminuons les liquides dans le corps et les systèmes d’excrétion, comme les selles et les urines, qui doivent détoxifier le corps, ne fonctionnent plus. Les toxines s’accumulent alors au lieu d’être évacuées. Le corps en médecine chinoise est imaginé comme un paysage, avec plusieurs cours d’eau différents. On favorise toujours un écoulement. On peut privilégier un courant plutôt qu’un autre. Dans ce cas, on préconise davantage la diète d’un d’aliment.
Que recherche-t-on alors dans la pratique du Bigu ?
C’est une pratique spirituelle d’élévation et non une pratique de santé. L’être humain n’est plus ici considéré comme un vase clos, mais il est ouvert à d’autres réalités : spirituelles et cosmiques. Le pratiquant du Bigu, très avancé sur la voie du Tao, suit des exercices de Qi Gong et des séquences de méditation spécifiques. Cette vie spirituelle l’amène à connecter son Shen, son entité psychique, au grand Shen de l’univers. C’est une voie mystique, comme celle que l’on retrouve dans le Christianisme et la vie de certains Saints. Prenons l’exemple de Marthe Robin qui vécut jusqu’à l’âge de 79 ans dont 50 années sans se nourrir et sans boire. Elle avalait une hostie par semaine. Plus de cent mille personnes lui ont rendu visite.
Cette voie spirituelle ne nuirait donc pas à la santé.
Non. Mais c’est une voie d’exception. L’énergie cosmique sur laquelle le pratiquant se branche doit être une énergie spirituelle vivante, qu’il doit pouvoir synthétiser en lui, stocker et rendre disponible, comme les plantes qui, grâce à la chlorophylle, captent l’énergie du soleil qu’elles sont capables de transformer.