Quand nous nous transformons en mendiants
La mendicité dont j’aimerais vous parler aujourd’hui, c’est cette posture servile que nous adoptons pour récolter des miettes de reconnaissance auprès de ceux que nous mettons sur un piédestal.
Son apprentissage commence dès l’enfance, quand nous percevons que notre survie dépend du bon vouloir des adultes et que nous nous laissons persuader que c’est un privilège qui se mérite. En réalité, par la conception d’un enfant et/ou l’exercice volontaire de son éducation, le parent biologique ou symbolique a fait un choix. Si les contraintes que cet engagement suppose le submergent, il lui revient toujours de le reconnaître et de chercher des recours, jamais à l’enfant de s’en excuser ou de trouver des solutions.
Tant que nous n’accédons pas à la maturité suffisante pour interroger ce rapport de forces, nous intégrons l’idée que toute relation est un troc. Que nous soyons bien ou mal traités, nous apprenons à nous soumettre avec reconnaissance par peur d’être abandonnés, rejetés ou encore critiqués. Nous serions alors livrés à nous-mêmes, ce qui dans notre imaginaire équivaut à une vulnérabilité potentiellement mortelle. Bientôt, cette dynamique va contaminer l’ensemble de nos relations, et pour peu que notre suivi éducatif ait relevé du dressage plus que de l’accompagnement vers l’autonomie, nous chercherons dans tous nos liens suivants la protection de ceux/celles qui nous semblent « plus » que nous, quel que soit le prix à payer en retour. Nous rejouerons l’allégeance originelle avec d’autant plus de bonne foi que nous n’aurons pas appris que peuvent exister d’autres modes de fonctionnement interpersonnel. Nous deviendrons des mendiants professionnels, persuadés qu’il nous faut répondre aux attentes d’autrui ou apitoyer pour recevoir l’essentiel, l’affection qui aide à supporter l’incertitude dans laquelle nous plonge notre fragile condition humaine.
Lorsque nous mendions, nous cherchons dans le regard de l’autre une justification valeureuse à notre incarnation. S’il daigne nous accorder de l’attention c’est peut être que nous ne sommes pas si dénués d’intérêt ? Si nous semblons combler l’un de ses manques, c’est peut être que notre existence est utile ? Que penser en revanche si à nos requêtes il oppose son silence ou s’il s’amuse à nos dépens, voire dans le pire des cas nous abuse ou nous exploite? Pour beaucoup, la conclusion est sans appel: c’est qu’ils ne valent rien et sont condamnés à expier leur prétention au bonheur.
Sortir de la mendicité demande de purifier sa vision des préjugés parasites qui entretiennent les hiérarchies relationnelles. Alors seulement pourrons-nous réciter ce crédo:
Je ne t’admire pas, car cela signifierait que tu es plus que moi
Je ne te méprise pas, car cela signifierait que tu es moins que toi
Je vois en toi un autre moi-même, ce qui signifie que nous sommes autant l’un que l’autre