Vipassana
L’art de méditer en Inde
Par Daniel Millès, spécialiste de la méditation Vipassana
Toutes les formes de méditation basées sur les systèmes indiens visent à libérer la conscience de ses conditionnements afin de l’amener à une plus grande liberté intérieure. Concernant la nature de cette liberté et les moyens pour y parvenir, les écoles divergent grandement, et même si le bouddhisme s’est développé sur un arrière-plan de religion védique, il s’en est très rapidement distingué et a même représenté une rupture avec le passé. A l’intérieur même du bouddhisme, les différentes traditions, si elles s’accordent en général assez bien sur le but — le nirvana —, diffèrent beaucoup sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
Nirvana, « l’absence de saisie »
Nirvana est un mot entré dans le vocabulaire courant en Occident mais son sens originel a été perdu. Nirvana signifie « extinction » ; extinction dans le sens d’un feu qu’on a éteint — le feu des passions, et plus particulièrement, d’entre toutes, Tanha, qu’on traduit par « la soif » ou « la faim ». Le nirvana n’est donc pas un « paradis » ou même un état de conscience particulier à atteindre. Une définition plus « pragmatique » et moderne du nirvana pourrait être « l’absence de saisie ». La saisie, c’est un poing fermé, crispé, qui cherche à retenir. Cela décrit une tendance, quasi biologique, que nous avons à figer les choses, à nous les approprier, à les vouloir permanentes, dans une tentative — complètement illusoire — que cela nous apportera la jouissance de sensations de bien-être et de sécurité.
Vipassana et Samatha
Venons-en maintenant aux méthodes qui conduisent au nirvana, à la libération. Pour se limiter aux écoles les plus présentes en Occident disons que l’on trouve trois grands courants qui correspondent à autant de zones géographiques en Asie. Le premier est représenté par le bouddhisme tibétain ; on trouve ensuite le zen, puis le Bouddhisme des Anciens ou Theravada. Il est généralement admis que ce dernier est resté le plus proche de l’enseignement du Bouddha. C’est aussi la forme de bouddhisme la plus simple à comprendre et à pratiquer. Mais, pour des raisons probablement historiques, c’est aussi l’école la moins répandue en Europe. Cette forme de bouddhisme a cependant le vent en poupe aujourd’hui, particulièrement à travers sa branche « occidentalisée » qui s’est imposée sous le nom de méditation vipassana.
Vipassana signifie « voir en profondeur, distinguer clairement, pénétrer profondément la réalité des choses… ». C’est cela — et uniquement cela — qui libère la conscience. Techniquement, vipassana s’oppose à samatha, la concentration, le calme mental. Pratiquement, samatha et vipassana sont comme les deux ailes qui permettent à l’oiseau de voler : sans vipassana, la méditation aboutit à un simple état de bien-être, à une paix profonde, mais elle ne libère pas des conditionnements et habitudes. A l’inverse, sans la concentration, vipassana n’a pas la force de pénétrer à travers les voiles de l’ignorance et de l’illusion. Ces deux aspects de la méditation bouddhique doivent donc être pratiqués alternativement ou simultanément. Le système de méditation de cette école s’appuie sur un texte canonique très répandu : le satipathana Sutta, un discours du Bouddha décrivant la pratique de la méditation à travers les quatre formes de l’attention que sont : l’attention au corps, l’attention aux sensations, l’attention à l’esprit et l’attention aux formations mentales (objets de la conscience, phénomènes…).
Même si cette forme de méditation a récemment donné naissance à un mouvement qui porte son nom, elle n’en est pas moins présente dans toute forme de méditation bouddhique. Le zen et le bouddhisme tibétain ont leur propre manière d’implémenter vipassana. Les Tibétains utilisent par exemple des méditations qui font appel à des visualisations complexes de formes de bouddhas. Dans le zen coréen, le méditant est invité à poser la question : « Qu’est-ce que c’est ? » de façon incessante, à la manière d’un koan, qui n’est pas sans rappeler le « Qui suis-je ? » de Ramana Maharshi et du védanta hindouiste.